mardi 16 octobre 2012

L'Europe va-t-elle couper les vivres à ses pauvres ?


L'aide alimentaire de l'UE, qui représente 130 millions de repas distribués en France chaque année, est menacée. Les associations appellent à la mobilisation face, notamment, au blocage allemand.



Un bénévole de la banque alimentaire du Nord prépare des palettes de nourriture le 26 novembre 2010 au dépôt de Lille.
 Un bénévole de la banque alimentaire du Nord prépare des palettes de nourriture le 26 novembre 2010 au dépôt de Lille. (Photo Philippe Huguen. AFP)

Les hasards du calendrier ont parfois du bon. Trois jours après l’attribution du prix Nobel de la paix à l’Union européenne (UE), les principales associations caritatives françaises ont trouvé le symbole idéal pour relayer leur mobilisation. Côte à côte lors d’une conférence de presse ce lundi, le Collectif des banques alimentaires, la Croix-Rouge, les Restos du cœur et le Secours populaire ont appelé à la mobilisation pour «sauver l’aide alimentaire européenne». Dans une Union en plein marasme économique, l’enjeu est de taille : chaque année, 18 millions d’Européens se nourrissent grâce au Programme européen d’aide aux plus démunis (PEAD), né en 1987.

Mais, déjà en sursis depuis l’an passé, le dispositif pourrait être nettement amoindri à partir de 2014, en raison d’une fronde de quelques pays de l’Union. «L’aide alimentaire ne peut pas être cassée au moment où l’Europe en a le plus besoin», alerte Olivier Berthe, président des Restos du Cœur. «Sinon, les gens vont finir par désespérer de l’UE», abonde Alain Seugé, président de la Fédération française des banques alimentaires. Explications.
Qu'est-ce-que le PEAD ?

Il y a vingt-cinq ans, Jacques Delors, alors président de la Commission européenne, met en place le Programme européen d’aide aux plus démunis (PEAD). A l'époque, il s’agit d’utiliser les surplus de la Politique agricole commune (PAC) pour distribuer des repas aux plus démunis. Aujourd’hui, le PEAD profite à 18 millions de personnes dans 20 pays de l’UE. Parmi les principaux bénéficaires, avec la Pologne et l’Italie, on retrouve la France.
Sur les 480 millions d’euros dotant le PEAD en 2011, 72 millions ont été redistribués dans l’Hexagone, soit environ 130 millions de repas. Selon les quatre associations caritatives agréées pour recevoir l’aide européenne, cela représente un tiers des denrées alimentaires distribuées chaque année dans le pays.

En Pologne, la proportion est bien plus forte : 80% de l’aide alimentaire provient du PEAD. «C’est un outil indispensable car il permet de fournir des assiettes complètes aux bénéficiaires, résume Alain Seugé. Les surplus des supermarchés, par exemple, sont principalement constitués de fruits et produits frais.»



Que s’est-il passé il y a un an ?

Le PEAD a déjà failli passer à la trappe en 2011. Saisie d’une plainte de l’Allemagne, la Cour européenne de justice avait jugé le dispositif obsolète. Initialement, le programme était en effet financé par les excédents agricoles. Mais devant leur fonte progressive, l’UE avait entrepris de financer, sur le budget de la PAC, l’achat de denrées alimentaires pour les plus démunis. Un dévoiement du système, selon la Cour, qui estimait que l’effort relevait de politiques sociales plus qu’agricoles. Un groupe de sept pays réfractaires (Allemagne, Royaume-Uni, Pays-Bas, République tchèque, Danemark, Suède et Autriche) s'était alors formé, exigeant la disparition du PEAD sous sa forme initiale.

Devant la mobilisation des dirigeants européens et de plusieurs gouvernements, dont celui de François Fillon, un compromis franco-allemand est signé le 14 novembre 2011. Le PEAD est maintenu provisoirement en 2012 et 2013, pour un budget d’environ 500 millions d’euros annuels. Seule condition fixée par Berlin : que le programme rattaché à la PAC disparaisse définitivement en 2014.

Mais au-delà de la simple question de l’utilisation des fonds agricoles, c’est une remise en cause plus globale du système que portent les pays réfractaires. Ils estiment que l’aide alimentaire aux plus démunis est de la responsabilité de chaque état membre. Pas étonnant, quand on connaît la spécificité du système allemand : outre-Rhin, le financement des associations caritatives passe très peu par l’Europe, mais bien davantage par les églises, via les ressources de l’impôt.

Que demandent les associations ?

Après ce sursis de deux ans, elles craignent qu'à partir de 2014, l’aide alimentaire européenne ne subisse un sévère coup de canif. Le projet de règlement budgétaire européen pour la période 2014-2020 prévoit une somme de 2,5 milliards d’euros allouée à l’aide alimentaire. Bien loin des 3,5 milliards actuels, et des 4,5 milliards espérés. «C’est le minimum pour atteindre les objectifs du programme "Europe against poverty", qui ambitionne une baisse de 25% de la pauvreté d’ici 2020, juge Olivier Berthe. Ce ne sont que 2 euros par an et par habitant de l’UE...»

A l’unisson, les associations décrivent une situation humaine et sociale plus que tendue. «Les besoins sont exponentiels, notamment en Europe du Sud», affirme Alain Seugé. «Quand je me rends dans les régions françaises, je ne vois plus que des coins sinistrés», décrit Julien Lauprêtre, président du Secours populaire. Toutes défendent aussi «l’efficacité» du PEAD. Comprendre : un programme peu cher, car adossé sur un large réseau associatif de bénévoles.

«Peu importe le nom du nouveau dispositif, il faut que le budget de l’aide alimentaire soit maintenu», résume Julien Lauprêtre. «Le prix Nobel de la paix a été attribué aux dirigeants européens d’hier. C’est l’occasion de voir ce que méritent ceux d’aujourd’hui», prévient Olivier Berthe. Les opinions publiques vont donc être mobilisées pour faire pression sur les gouvernements réfractaires, par le biais de l’initiative «AirFood Project» (se filmer devant une assiette vide pour illustrer les risques de la fin du PEAD).

L’autre levier d’action sera politique. «On sait que le principal verrou est allemand, juge Olivier Berthe. Si ce dossier est prioritaire au niveau de l’exécutif français, il connaîtra un débouché favorable.» Le conseil des chefs d’Etat de l’UE, le 23 novembre prochain, pourrait être le théâtre des ultimes négociations. Le président des Restos du coeur en fait une question de principe : «On ne peut pas invoquer le devoir de solidarité européenne dès qu’il s’agit de sauver les banques, mais l’oublier quand il faut aider les plus pauvres.»

Source : http://www.liberation.fr/societe/2012/10/15/l-europe-va-t-elle-couper-les-vivres-a-ses-pauvres_853378